Volodymyr Zelensky : du clown russophone au politicien adulé

Deux livres consacrés au président ukrainien, acteur comique devenu symbole d’une nation face à l’envahisseur, viennent de paraître : ‘Volodymyr Zelensky, dans la tête d’un héros’, et ‘Volodymyr Zelensky, l’Ukraine dans le sang.’

Trois mois avant le début du conflit déclenché par la Russie, la cote de popularité de Volodymyr Zelensky, élu président en 2019, plafonnait à 38 %. Il a suffi d’une vidéo tournée de nuit dans les rues désertes de Kiev, au lendemain d’une invasion russe traumatique, pour que ce dirigeant de 44 ans, revêtu d’un T-shirt kaki qui ne le quittera plus, devienne l’incarnation de la résistance de tout un pays, plébiscité par 91 % de ses habitants, selon un sondage réalisé les jours suivants.

Les réparties du président ukrainien, dont la fameuse ‘J’ai besoin d’armes, pas d’un taxi !’, en réponse aux Américains proposant de l’évacuer, vont aussi contribuer à forger sa stature. Selon les auteurs des livres, cette guerre n’est pas qu’un conflit militaire de haute intensité, mais aussi une guerre des mots et de la communication. Un domaine dans lequel l’Ukrainien excelle et renvoie Vladimir Poutine, pourtant maître en matière de propagande, au rang de dictateur d’un autre âge.

Méconnu des Occidentaux avant la guerre, Volodymyr Zelensky ne l’était pas dans le monde postsoviétique. En Moldavie, en Lettonie, ou encore à Moscou, des milliers de russophones ont suivi les aventures sur le petit écran de celui qui a d’abord bâti sa carrière dans la comédie. Tout, dans ses origines sociales, géographiques et son parcours professionnel, le prédisposait d’ailleurs à faire partie du ‘monde russe’. Né dans une cité industrielle du sud du pays, il a grandi au milieu de barres d’immeubles dans une famille juive non pratiquante où l’on parlait exclusivement russe. Enfant unique, il s’écarte assez vite de la voie classique suivie par sa mère ingénieure et son père mathématicien. Doté d’un ‘talent inné à faire l’imbécile’, il devient clown, auteur populaire de sketches humoristiques, puis acteur de série. A la tête d’une société de production baptisée Kvartal 95 – du nom de son quartier d’enfance –, il joue à partir de 2015 le rôle d’un président inexpérimenté, élu un peu par hasard dans la série Serviteur du peuple, diffusée aux heures de grande écoute. Sa popularité, notamment dans le Donbass, s’envole. Quatre ans après son personnage, Zelensky, tout aussi novice en politique, est élu avec 73 % des voix, à la tête d’un parti créé de toutes pièces reprenant le titre de la série.

‘A l’époque, peu comprennent que ‘Serviteur du peuple’ n’est pas qu’une série rigolote et innocente. C’est une machine de guerre, une grenade dégoupillée par un oligarque pour en déboulonner un autre’, soulignent les auteurs, bons connaisseurs du pays. Volodymyr Zelensky est en effet très proche du puissant et richissime Ihor Kolomoïsky. Or ce milliardaire, qui possède l’une des principales chaînes de télévision, se déchaîne contre Petro Porochenko, lui-même homme d’affaires et premier président démocratiquement élu après la révolution de Maïdan. Ces liens étroits avec le monde l’argent feront peser des doutes sur la volonté réelle de Zelensky de lutter contre la corruption.

Ses débuts au sommet de l’Etat s’avèrent en tout cas catastrophiques. Celui qui harangue aujourd’hui les assemblées du monde entier par visio pour réclamer davantage de livraisons d’armes pour son pays désespère les diplomates étrangers chargés de le jauger. Le président, qui a dû apprendre l’ukrainien, parle aussi très mal l’anglais et ne maîtrise aucun dossier international ou économique. Mais ‘l’un de ses traits caractéristiques, c’est sa flexibilité, rappellent ses biographes.

L’homme fascine. Dans son enquête ‘Volodymyr Zelensky, l’Ukraine dans le sang’, le journaliste Gallagher Fenwick analyse le mythe d’un dirigeant intègre écorné, en octobre 2021, par les ‘Pandora Papers’. A travers la fuite de ces milliers de documents sur les paradis fiscaux épluchés par un consortium international des journalistes d’investigation, les Ukrainiens découvrent que le nom de Volodymyr Zelensky, et celui de plusieurs de ses associés dans Kvartal 95, promus par la suite au rang de conseillers, sont liés à des sociétés off-shore. Avant de devenir un chef de guerre, le clown était aussi un homme d’affaires avisé.

Vocabulaire :

la cote depopularité : taux de satisfaction, d’approbation d’une personne plafonner : atteindre son maximum plébiscité : approuvé par une grande majorité une répartie : réponse rapide et spontanée forger : (ici) construire méconnu : peu ou pas connu russophone : qui parle russe une barre d’immeubles : bâtiment faisant partie d’un groupe d’immeubles, souvent dans des quartiers défavorisés novice : nouveau déboulonner : (ici) chasser, remplacer haranguer : faire un discours solennel à une assemblée jauger : évaluer, mesurer intègre : très honnête écorné : abîmé avisé : perspicace, habile

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